Réunion d’information Directive Droit d’auteur – 23 oct 2018

Droit voisin, Article 11 et hyperliens : régime juridique actuel avec Maître Florence Gaullier, Cabinet Vercken & Gaullier 

Droit voisin et Position du GESTE avec MariePierre Ombrédanne, Founder, Delicty 

Article 13 sur le value gap avec Anthony Level, Directeur des Affaires Règlementaires Numériques, Groupe TF1 et Anna Bigot, European Affairs Adviser, Bouygues Europe 

 

Le droit positif

 

I La question des liens hypertextes

 

La CJUE, par trois arrêts (Svensson, Bestwater et GS media), est venue définir la notion de communication au public pour les liens hypertextes. En droit positif tous les types de liens (simples, profonds, transclusion) sont traités de la même manière. On doit distinguer le régime du lien selon que le lien pointe vers un contenu cible « licite » ou au contraire « illicite », cestàdire si le contenu a été mis en ligne avec autorisation ou non du titulaire des droits. Vous retrouverez les différentes hypothèses dans la présentation de Maitre Florence Gaullier (en fin darticle) sous la forme dun schéma

 

I Quid des extraits

 

Un lien est souvent accompagné dun extrait ou « snippet ». Lextrait original pourra être couvert par le droit de communication au public et par le droit de reproduction. La réutilisation du contenu cessite une autorisation sauf exceptions

Lexception danalyse ou de courte citation. Lexception de revue de presse qui est très encadrée en France. Le a text et data mining » qui ne reste limité quà des fins non commerciales et à la recherche publique

Dautres droits peuvent exister pour les titulaires des droits qui souhaitent empêcher lutilisation dextrait de leur contenu tel que le droit du producteur de base de données. Cependant la preuve de linvestissement doit porter sur la structuration des bases de données, de la mise à jour, et non sur le contenu

 

I Quid du crawl 

 

A priori, lacte de crawl pourrait être qualifié dacte de reproduction. Or la plupart des acteurs considèrent que le crawl relève dune exception sur la copie provisoire. La notion de « provisoire » nest pas encore totalement encadrée par les différentes jurisprudences. Cette piste a été explorée par le CFC qui délivre des licences dite « veille web » au titre de la reproduction en vue de fournir des liens

Aujourdhui, les acteurs qui référencent les contenus des éditeurs tirent profit de ces contenus dans le cadre de leur activité. Ce référencement peut aboutir à un détournement de trafic mais, dun autre point de vue, également à une augmentation du nombre de clics. Le droit dauteur est jugé par certains comme inefficace pour agir contre ces acteurs : la titularité des droits est souvent remise en question, la preuve de loriginalité est difficile à mettre en oeuvre. Cest à partir de ces difficultés quest née la proposition de création dun droit voisin pour les éditeurs de presse

 

Larticle 1

 

La proposition de directive propose la création dun droit voisin pour les éditeur de presse. Cependant la définition de la publication de presse proposée risque de ne pas résoudre les problématiques actuelles. Selon la définition de lune des versions du texte proposé, une publication de presse est la fixation, par un éditeur ou une agence de presse, dune collection composée doeuvres littéraires de nature journalistique, qui peut également comprendre dautres cuvres ou objets protégés. Si ce terme « protégé » est gardé sans ajouter « principalement composé de », les titulaires des droits devront continuer à prouver que le contenu est protégé (preuve de loriginalité, etc.)

Ce droit donne aux titulaires une exclusivité du droit de reproduction et du droit de mise à disposition avec un périmètre réduit aux utilisations numériques. Cependant

ce droit de mise à disposition, dans le droit positif actuel, ne règle pas la question des liens. Un passage est donc ajouté sur cette question

Dans le texte de la Commission : lautorisation de mise à disposition ne sappliquera pas aux liens qui ne constituent pas un acte de communication au public. Ici on ne résout rien sur la question des liens

Dans le texte du Conseil : le projet prévoit de renvoyer aux États membres la possibilité de décider quels extraits peuvent accompagner un lien, tout en fixant les critères que les Etats membres pourraient retenir

Dans le texte du Parlement : le lien est autorisé uniquement s‘il sagit un lien simple accompagné de mots isolés. Dans cette version, les moteurs de recherche tel que « Google >> seraient aussi concernés

Le fond du sujet nest pas la taille de lextrait, mais le caractère substituable ou non de le lecture de lextrait à la lecture du contenu luimême, ce que les différentes versions du texte peinent à appréhender

 

Position du GESTE 

 

Le GESTE estime que les principes fondamentaux du fonctionnement dInternet (liberté dexpression, pluralisme de linformation et partage de la connaissance et du savoir) ne doivent en aucun cas être remis en cause, mais soutient vivement cette proposition qui reconnaît le rôle des éditeurs et leurs investissements dans la création de contenus de qualité essentiels pour laccès à linformation et la connaissance

Le GESTE reste cependant vigilant sur un certains nombres de points

La possibilité de négocier des accords et des licences dutilisation de tous les types de contenus / datas. Les éditeurs, dans le cadre de la création de sociétés de gestion collective, ne doivent pas se retrouver dans des mécanismes tellement contraint quils ne peuvent plus passer des accords en direct avec certains opérateurs, ni autoriser des exceptions. La négociation des accords et létablissement de barèmes dans le cadre des autres industries culturelles a pris et prend du temps. Le Geste sera pleinement partie prenante à ces débats

La loi telle que transposée devra concerner une conception large de léditeur de presse et ne doit pas être limitée à la notion IPG. Il faut limiter les différentiels entre les pays. Les accords Hadopi ne prévoient pas stricto sensu lexistence dun droit voisin. Ce débat va donc se réouvrir. Les éditeurs devront tenir compte de ces éléments lors de la mise en place des accords avec les plateformes, sachant que les journalistes bénéficient déjà de rémunération lors de la publication sur internet de leurs contributions

Nous vous proposons de mettre en place un groupe de travail sur vos avis, idées, afin que vos positions soient reflétées lors des prochaines consultations. Nhésitez pas à revenir vers nous

 

L’article 1

 

Article 13 de la proposition de directive, dit« Value gap » porte sur le transfert de valeur injustifié au profit des plateformes et au détriment des acteurs de la création européenne (via le piratage des contenus qui font lobjet de monétisation publicitaire et génération de données pour les plateformes, et via la faible rémunération des ayants droit du fait de lopposition par les plateformes du statut dhébergeur). Le président de la SACEM a dailleurs indiqué que sur les plateformes gratuites, pour 

1 million de vues, un ayant droit percevrait 80 euros contrairement aux plateformes payantes avec abonnement pour 1 million de vues, layant droit percevrait 2000 euros. Depuis la directive ecommerce de 2000, un considérant prévoyait des obligations de « duty of care » en préventif sur nimporte quelle infraction et donc a fortiori sur la contrefaçon. Le dispositif, qui est en train dêtre discuté au niveau européen, était donc faisable sur le plan étatique depuis 2000. La jurisprudence Ebay permet de requalifier en « éditeur >> un hébergeur sil est prouvé un comportement de nature à contrôler ou prendre connaissance de linformation stockée (même en cas de contrôle ou prise de connaissance partielle

 

I Qui est concerné par cet article

 

Pour la Commission : tous les services qui stockent et qui mettent à disposition une masse significative de contenu, dont lupload est fait par lutilisateur

Pour le Conseil : on parle de « content sharing services », qui donnent accès à un large montant de contenu protégé envoyé par lutilisateur. Ces plateformes doivent jouer un rôle important sur le marché du contenu en ligne et être en compétition avec 

dautres services de contenu en ligne pour les mêmes audiences, avec un but de profit en organisant le contenu en vue dattirer plus daudience. La définition contient également une liste dexclusion. Le juge fera aussi une analyse au cas par cas en combinant plusieurs éléments : laudience, le nombre de fichier protégé, etc. La difficulté va porter sur la recevabilité. Audelà de la difficulté actuelle à apporter la preuve de loriginalité et des droits, a fortiori sur des contentieux de masse (beaucoup de contenus), chaque critère ajouté par le Conseil sera challengé en justice par les plateformes : la plateforme estelle en concurrence ? Proposetelle un nombre significatif de contenus protégés ? Sagitil des mêmes audiences ? Etc. Létape de la recevabilité, déjà difficile, va encore se complexifier, pouvant ainsi vider de toute effectivité la réforme

Pour le Parlement : la notion de « contenus significatifs » est conservée. Il faut que la plateforme optimise le contenu et le promeuve pour faire du profit. L’optimisation devrait normalement entrainer la déchéance du statut dhébergeur. Ici ce terme fait entrer la plateforme dans la notion de plateforme active pour lui appliquer le régime de la forme. Une liste dexclusions est aussi fournie, avec une nouvelle catégorie : les services ayants les autorisations de tous les ayants droits concernés

 

I Sur quoi porte cet article

 

Pour la Commission : ces plateformes font des actes de communication au public. La conséquence directe : la conclusion des licences avec les ayants droit. La plateforme doit prendre des mesures appropriées et proportionnées comme limplémentation de technologies efficaces, et ce, même sils sont hébergeurs. Les plateformes doivent également collaborer en transparence avec les ayants droit, notamment pour les technologies de reconnaissance de contenu. La plateforme doit pouvoir donner le « success rate » du dispositif. Une question se pose : comment un dispositif de fingerprint peut savoir si certains programmes nont pas été détectés ? Mise en place des mécanismes de traitement des plaintes utilisateurs. Ces mesures seront définies par la suite lors de la mise en place de best practices avec les parties prenantes

Pour le Conseil : on reste sur la même accroche, cestàdire lacte de communication. Ces plateformes actives ne bénéficient plus du statut dhébergeur uniquement pour les actes relevant du droit dauteur. Néanmoins, elles peuvent sexonérer de leur responsabilité si elles démontrent quelles ont agi de manière diligente pour prévenir des actes non autorisés en appliquant des mesures efficaces et proportionnées basées sur les informations communiquées par les ayant droits. Les plateformes actives doivent aussi retirer les contenus après notification et prévenir la future accessibilité non autorisée (régime des hébergeur). Les mesures en question doivent être adaptées à la taille de la plateforme, sa nature, le prix des technologies etc

Pour le Parlement : On reste sur le même acte de communication. Si layant droit ne veut pas conclure de licence, les hébergeurs et ayants droit doivent coopérer pour prévenir laccessibilité non autorisé de contenus, sans empêcher le chargement de contenus non contrefaisants ou sujet à exception au droit dauteur. Il y aura un filtrage en amont avec des mécanismes garantis pour dévérouiller le contenu. Pour définir les mesures : un dialogue commission/États membres/parties prenante pour définir les best practices. Lors de la définition de ces best practices seront garantis : les droits fondamentaux, les exceptions de limitation du droit dauteur, les exclusions des petites entreprises et que les mesures de blocage automatique doivent être évitées. Avec cette dernière notion, on assiste à un recul et un grand écart entre les textes de la Commission (qui parle explicitement de technologies de reconnaissance de contenus) et du Parlement (qui semble vouloir éviter les blocages automatiques). Il ny a aucune articulation entre ce texte et la directive ecommerce dans le cas la plateforme est défaillante dans la mise en place des mesures. Cette plateforme serait déchue du statut dhébergeur car elle fait un acte de communication au public et serait alors responsable de se qui passe par son service après lexécution du filtre. Les Etats pourraient désigner une autorité indépendante, type Hadopi, pour la résolution des litiges sur les mesures. La technologie de filtrage pourra être challengée par un tiers sur la robustesse et lefficacité de ces dispositifs. Le fait de dériver cette problématique sur une autorité indépendante peut être salvateur car évitera de cristalliser les tensions entre les acteurs

 

I Quattendre des trilogues

 

On peut sattendre à tout

Il va y avoir des problématiques sur les technologies de reconnaissance de contenu

Une problématique sur le statut juridique final de la plateforme dans lhypothèse les mesures appropriées sont défaillantes du fait de la plateforme. Globalement chacun des textes articule mal la directive ecommerce et cette directive. Une problématique sur les SME

Dans la phase de trilogue, une première réunion a eu lieu le 2 octobre afin de fixer lagenda et les thèmes polémiques prioritaires. Les prochaines réunions devraient avoir lieu les 25/10, 26/11 et 13/12. Cest le trilogue du 26/11 qui traitera du fond de larticle 13. Lobjectif est de trouver un compromis avant les élections européennes de mai 2019