Position inter-professionnelle sur la Proposition de Règlement ePrivacy – 7 juin 2017

Les industries françaises du Numérique éditeurs de contenus et de services en ligne, commerçants électroniques, annonceurs, régies publicitaires, agences média, agences de communication, réseaux publicitaires, fournisseurs de données et leur organisme dautoregulation professionnelle de la publicité se mobilisent pour attirer lattention des pouvoirs publics sur limpact de la Proposition de Règlement ePrivacy sur leur modèle économique et leur compétitivité 

Paris, le 7 juin 2017 

Les organisations signataires, représentatives de différents acteurs de la chaîne de valeur en matière de services de communication électronique, conscientes des enjeux liés au respect de la vie privée, reconnaissent la nécessité dune réglementation européenne adaptée permettant daccompagner le développement dune économie numérique européenne dans le respect des attentes légitimes des citoyens en matière de protection de leur vie privée. Cest dans cet esprit quelles ont analysé la Proposition de Règlement ePrivacy [1] publiée par la Commission européenne en début dannée et destinée à remplacer la directive ePrivacy 2002/58/CE.

Leur attention sest plus particulièrement portée sur les articles 8 à 10 de la Proposition relatifs aux « cookies et autres traceurs » en raison des enjeux essentiels que présentent ces dispositions pour lavenir du secteur des services de communication électronique en France

Alors que le Parlement européen et le Conseil sapprêtent à examiner la Proposition, les organisations signataires souhaitent faire part des nombreuses préoccupations suscitées par ce texte dans sa version actuelle et attirer lattention des pouvoirs publics sur les conséquences que celuici pourrait avoir sur la pérennité de lactivité de leurs adhérents

1. Une approche contraire à celle édictée par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) et inadaptée aux nouveaux usages en matière dinternet 

Actuellement la Directive e Privacy 2002/58/CE[2] requiert le consentement des personnes pour le dépôt de cookies, ce qui suppose une information préalable de ces dernières et la possibilité pour cellesci dexercer un droit individuel auprès de lémetteur des cookies. En pratique, ce consentement sexerce à travers une bannière qui informe linternaute sur la politique du site visité en matière de cookies et qui oriente linternaute dans la manière dexercer son libre choix

La Proposition de Règlement e Privacy prévoit de remplacer cette information préalable suivie dun consentement ou dun refus des cookies, par lexpression préalable dun consentement ou dun refus, dès linstallation du navigateur, sans que le fournisseur dun service de communication électronique ne puisse informer les personnes de la finalité des cookies quil opère

La Proposition de Règlement e Privacy contredit le RGPD en ce quelle substitue au choix individuel, contextuali, spécifique et informé, à loccasion de laccès à un service déterminé, un choix préalable, global, non spécifique et décontextualisé visant à accepter ou rejeter, sans information préalable conforme aux principes du RGPD, des cookies selon leur seule origine (« first party » / < third party ») lors de linstallation dun nouveau logiciel de navigation (article 10 de la Proposition). Une telle distinction selon lorigine des cookies est contestable en ce quelle retient comme seul critère de choix la source dun cookie et non sa finalité, comme le prévoit le RGPD

En outre, le texte ne traite pas des conditions ultérieures dans lesquelles les personnes pourraient modifier leurs préférences, dans quelque sens que ce soit, à tout moment, ni la manière dont ces modifications pourraient être prises en compte juridiquement et techniquement par les différents acteurs qui émettent des cookies ou autres traceurs

La Proposition de Règlement ignore totalement la reconnaissance par le RGPD des procédés de pseudonymisation (article 4.5 du RGPD). Lemploi de « cookies » ou dautres dispositifs de traçabilité comparables, repose très majoritairement, en matière de mesure daudience et de publicité, sur des techniques de pseudonymisation, pour lesquelles le RGPD nimpose pas le consentement préalable des personnes, en ce quune telle pseudonymisation peut constituer une garantie de licéité suffisante

Enfin, alors que linternet mobile ne cesse de se développer, la Proposition de Règlement ne prend pas non plus en compte les réalités technologiques des terminaux mobiles (smartphones, tablettes) et des écosystèmes dapplications[3], qui different techniquement[4] de celles liées à linternet fixe. En létat, aucune solution nexiste en pratique ni nest recherchée par la Proposition pour permettre aux acteurs économiques dépendant des systèmes dexploitation des terminaux mobiles, de se conformer aux exigences prévues par la Proposition de Règlement

2. Un transfert de la protection de la vie privée des européens vers des sociétés américaines 

Actuellement, les entreprises européennes sont libres dutiliser de nombreux cookies pour fournir des services adaptés aux utilisateurs finaux. Si ces derniers souhaitent refuser certains cookies, les entreprises soumises au RGPD doivent mettre à leur disposition un ou plusieurs liens permettant de les désactiver le cas échéant. Ce système nest pas parfait et peut sans doute être amélioré. Toutefois, déplacer le consentement au niveau de linstallation et de lutilisation du logiciel de navigation, comme le suggère la Proposition de Règlement, priverait les entreprises européennes de toute interaction avec les utilisateurs finaux et de la connaissance de leurs préférences et de lexercice de leurs droits

La Proposition de Règlement semble en effet confier la mise en oeuvre du dispositif de recueil du consentement à des entreprises américaines qui dominent le marché mondial de la publicité digitale et comportementale, au rang desquels les trois principaux éditeurs de logiciels de navigation (Google Chrome, Microsoft Internet Explorer, Apple Safari). Ce simple fait permettra à ces acteurs davoir une position très favorable, renforcée par leurs relations directes avec les internautes. Ainsi, ils pourront notamment utiliser des cookies nécessaires au fonctionnement du navigateur luimême pour lensemble des services quils fournissent ailleurs sur le web (recherche, publicité, audience, etc.)

3. Un risque important pour la compétitivité des entreprises européennes sans contrepartie pour la protection des données 

La Proposition de Règlement fait peser des risques importants sur la compétitivité des entreprises européennes sans contrepartie effective pour la protection de la vie privée des Européens et sans information précise et pertinente leur permettant dexercer leurs droits de manière éclairée

Les cookies peuvent être des cookies « first », déposés par le fournisseur du service visité, ou des cookies « third » déposés par des tiers. Ces cookies tiers servent principalement à la mesure daudience, à permettre aux utilisateurs de réseaux sociaux de partager facilement un contenu, à fournir de la publicité ciblée, ou à piloter la répétition publicitaire. Ces usages des cookies tiers ne peuvent être réalisés par des cookies « first ». En effet, la plupart des outils de mesure daudience sont, par nature, opérés par des tiers aux parties prenantes

La Proposition de Règlement pourrait donc remettre en cause les fondements même de la valorisation des sites internet en privant les acteurs de ce marché doutils de mesure daudience fiable

Parallèlement, la Proposition de Règlement menacerait également les réseaux publicitaires tiers qui ne seraient pas liés à des éditeurs de logiciels de navigation. En effet, il nest pas de service de communication électronique financé en tout ou partie par la publicité qui ne doive désormais recourir à des mécanismes denchères et dinsertions programmatiques reposant sur des cookies tiers et permettant dafficher moins de publicités, des publicités plus pertinentes et moins répétitives ou intrusives

En conclusion, ces nouvelles dispositions concernant la dépose de cookies et autres traceurs commerciaux, suscitent donc de fortes inquiétudes parmi les professionnels représentant de nombreux services de la société de linformation : éditeurs de contenus et de services en ligne, commerçants électroniques, annonceurs, régies publicitaires, agences de communication, agences médias, réseaux publicitaires, fournisseurs de données, leur organisme dautoregulation professionnelle de la publicité eto. Ces derniers demandent aux pouvoirs publics français de prendre en compte les observations formulées dans le présent document dans les discussions à venir au niveau européen, dans lintérêt commun des internautes et des entreprises

[1] Proposition de Règlement du Parlement Européen et du Conseil concernant le respect de la vie privée et la protection des données à caractère personnel dans les communications électroniques et abrogeant la directive 2002/58/CE (Réglement « e Privacy ») du 10 janvier 2017, http://eurlex.europa.eu/legalcontent/FR/TXT/? uri=COM:2017:0010:FIN 

[2] Article 553 

[3] En 2016, laccès à internet mobile ou à partir déquipements terminaux portables (smartphones, tablettes...) représentait près de 59% de lensemble des accès à internet en Europe. Statistique EUROSTAT, vrier 2017, accessible à ladresse http://ec.europa.eu/eurostat/statistics explained/index.php/Digital_economy_and_society_statistics_ _households_and_individuals 

[4] Les écosystèmes dapplication mobile ne comportent pas de cookies, mais dépendent totalement de systèmes dexploitation non européens