18 Nov L’audiovisuel et le « marché unique numérique >> Quelles stratégies de l’Union Européenne ? – 23 février 2017
Conférence présidée par: Ignasi Guardans, Avocat associé de K&L Gates à Bruxelles, ancien Membre du Parlement Européen (Commission Culture; ancien co–rapporteur Directive Services de Médias Audiovisuels et autres textes y afférents); Ancien Directeur Général du Cinéma et de l‘Audiovisuel en Espagne.
Avec la participation de :
– Alexandra Lebret, Directrice Générale, The European Producers Club – Anthony Level, Directeur des Affaires Règlementaires Numériques, Digital Chief Policy Officer, TF1
– Alban de Nervaux, Chef du service des affaires juridiques et internationales au Ministère de la Culture et de la Communication
– Pascal Rogard, Directeur Général, SACD – Christophe Roy, Directeur des affaires européennes et Directeur Juridique Adjoint, Groupe Canal+.
Différents textes sont en cours de discussion au niveau de l‘Union européenne. Chaque mesure a été initiée de manière isolée, mais toutes font partie de la stratégie pour un marché unique numérique dévoilée en mai 2015 par la Commission
européenne. Cette stratégie vise à garantir dans l‘environnement numérique la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux dans l‘UE
Les trois piliers de la stratégie pour un marché unique numérique.
La stratégie pour un marché unique numérique repose sur trois domaines d‘action :
– Améliorer l‘accès aux biens et services numériques dans toute l‘UE pour les consommateurs et les entreprises;
– Créer un cadre propice au développement des réseaux et services numériques; – Maximiser le potentiel de croissance de l‘économie numérique.
Ces objectifs politiques se sont traduits par plusieurs propositions législatives de la Commission. Les textes étant examinés séparément, le risque de contradiction n‘est pas exclu. Il y a par ailleurs une forme de tension entre ces propositions assez maximalistes et la réalité économique du marché unique numérique. Cette conférence est donc l‘occasion de dresser un panorama des nombreuses réformes en cours (réforme de la Directive « Services de médias audiovisuels >> réforme du droit d‘auteur, territorialité et portabilité des droits, etc.) puis de débattre avec plusieurs intervenants, acteurs clés du secteur de l‘audiovisuel, des impacts règlementaires et pratiques de ces réformes.
La révision de la directive « Services de médias audiovisuels» (SMA)
Le projet de mise à jour de la directive SMA a été présenté le 25 mai dernier. 4 commissions l‘ont examiné et donné leur avis sur le texte (JURI – IMCO–LIBE – ENVI). La Commission de fond (Culture) doit adopter le texte prochainement.
Les évolutions proposées ont pour objectif d‘étendre aux nouvelles plateformes de partage de vidéos, telles que YouTube ou Dailymotion, un certain nombre d‘obligations ayant trait à la lutte contre les contenus violents et les messages d‘incitation à la haine raciale (dispositifs de signalement, contrôle parental etc.). Si certaines dispositions ont fait l‘objet d‘un consensus, d‘autres sont encore en discussion comme la question des quotas, dont la fixation n‘a pas encore été déterminée (20 ou 25% ?). Le projet de révision prévoit en effet l‘instauration d‘un minimum obligatoire d‘oeuvres européennes dans les catalogues des services de médias audiovisuels, un point qui recueille des avis positifs de la part de tous les participants à la table–ronde, même si le taux parait un peu faible. La Commission a également introduit dans le texte la possibilité pour les Etats–membres d‘imposer une obligation de contribution financière à la production des auvres européennes. Le gouvernement français notamment soutient cette disposition mais les avis divergent sur le sujet et l‘échec d‘un accord posera nécessairement des difficultés.
Toutefois, le principe du pays ciblé est un point positif que tous les participants saluent. Pour Alban de Nervaux, Chef du service des affaires juridiques et internationales au Ministère de la Culture et de la Communication, « Il y a une certaine ambiguïté et un foisonnement des textes qui constituent un vrai défi pour les Etats membres et les professionnels, dans la phase de mise en oeuvre. Mais la proposition dévoilée par la Commission est dans l‘ensemble plus équilibrée. La prise en compte du piratage de la valeur, la question du financement des oeuvres et l‘application des quotas sont des avancées qui marquent une certaine écoute de la part de la Commission. »
Christophe Roy, Directeur des affaires européennes et Directeur Juridique Adjoint pour le groupe Canal+ partage cet avis. Pour lui, « la prise en compte du value gap par la Commission est une bonne chose, pour réduire les distorsions de concurrence
avec les grandes plateformes >>.
Anthony Level, Directeur des affaires réglementaires numériques chez Tfi fait également ce constat. « Si l‘asymétrie fiscale reste un vrai problème, le principe du pays ciblé pourrait permettre de recréer des conditions de concurrence relativement équitables sur le fond. Il faut toutefois relativiser, puisqu‘une entreprise qui ne dispose pas d‘établissement sur le territoire de l‘UE pourra échapper à cette règle. »
La proposition de règlement sur la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne
Il s‘agit de consacrer le droit, pour un consommateur, d‘utiliser son abonnement en ligne à des films ou d‘autres services audiovisuels, lorsqu‘il se trouve hors de son pays d‘origine, par exemple pour un voyage d‘affaires ou d‘agrément. A l‘exception de la notion de « résidence temporaire » qui peut donner lieu à des conflits d‘interprétation, le cadre juridique proposé est assez clair. Le Conseil, la Commission et le Parlement sont parvenus à un accord.
Mais pour Pascal Rogard, Directeur général de la SACD, la visibilité des oeuvres est une question d‘accessibilité et non de portabilité : « Les auteurs veulent que leurs oeuvres circulent et soient vues. Il faut que les producteurs acceptent de mettre leurs films sur les plateformes ».
Il est clair que l‘économie digitale a changé l‘accessibilité et la façon dont les films sont financés. Le digital permet aux films d‘être accessibles partout. Il y a donc une véritable tendance à la délinéarisation des droits, un phénomène que les chiffres de la catch up tendent à démontrer. Pour Alexandra Lebret qui représente l‘EPC une association de producteurs indépendants de films, « l‘évolution de la valeur des droits est en train de changer. La part des revenus glisse de la salle vers l‘exploitation en ligne des oeuvres après le passage à la TV. La sécurisation des droits d‘exploitation face aux nouveaux modèles qui se développent comme Netflix est donc un véritable enjeu pour les ayants droit ».
Pour autant, le phénomène de la piraterie audiovisuelle est en croissance constante. Mais il n‘est pas traité dans les différentes propositions de la Commission, à l‘exception des dispositions sur le régime de responsabilité des plateformes en ligne, souligne Pascal Rogard. D‘après un communiqué de presse diffusé le 23 février, la dernière étude du Cabinet Ernst et Young consacrée au « Piratage en France >> évalue à au moins 265 millions d‘euros le manque à gagner pour les créateurs et ayants droit. Les sujets de la portabilité et de la territorialité des droits sont connexes. Si la règle de la territorialité des droits actuellement en débat venait à être supprimée, le texte sur la portabilité deviendrait du coup obsolète. Cette menace qui pèse sur la territorialité des droits a notamment été relevée par Anthony Level qui estime que « la territorialité des droits est consubstantielle du modèle économique des chaînes de télévision. On peut réellement s‘interroger sur l‘existence d‘un marché européen de l’audiovisuel. Les annonceurs par exemple déploient des stratégies locales. Il y a donc une vraie logique linguistique et culturelle derrière la territorialité des droits »).
Il parait évident que la disparition de la territorialité des droits aurait probablement des conséquences sur le prix des offres aux public, sur l‘emploi, sur la diversité culturelle et linguistique et sur le préfinancement des créations, comme l‘indique Christophe Roy, Directeur des affaires européennes et Directeur Juridique Adjoint pour le groupe Canal+. « Nos récentes créations ont été financés grâce à la territorialité des droits et la prévente des droits dans certains Etats membres. Mais il semble que la Commission européenne n‘appréhende le marché unique numérique que pour le consommateur, sans prendre en compte les enjeux pour les acteurs européens. Elle a une vision centrée sur l‘accessibilité des contenus partout et à tout moment. » Cette menace a été soulignée par Christophe Roy qui estime qu‘il faut être particulièrement vigilant à cause de la décision qui sera rendue par les autorités européennes de la concurrence dans l‘affaire Sky UK. Canal+ a déjà présenté un recours dans le cadre ce litige car une décision de principe pourrait aboutir à remettre en cause la territorialité des droits. Pour rappel, la Commission estime que six studios de cinéma américains (Disney, NBCUniversal, Paramount Pictures, Sony, Twentieth Century Fox et Warner Bros) et Sky UK ont convenu sur une base bilatérale d‘instaurer des restrictions contractuelles empêchant Sky UK de permettre aux consommateurs de l‘UE d‘avoir accès, par satellite ou en ligne, à des services de télévision payante disponibles au Royaume–Uni et en Irlande lorsqu‘ils ne se trouvent pas dans ces pays. Paramount a d‘ores et déjà pris l‘engagement de supprimer ces clauses dans ses contrats.
La proposition de règlement établissant les règles relatives à l‘exercice du droit d‘auteur et des droits voisins applicables à certaines transmissions en ligne des organismes de radiodiffusion et à la retransmission des programmes de télévision et de radio
Pour rappel, la Directive 93/83/CEE du Conseil du 27 septembre 1993 dite « Directive câble & satellite fixe deux régimes distincts en matière d‘acquisition des droits pour les transmissions par satellite et retransmissions par câble :
– Pour la radiodiffusion par satellite, la Directive prévoit un droit de communication au public valable sur l‘ensemble du territoire de l‘Union européenne. Une seule licence est nécessaire, et elle est octroyée dans le pays d‘origine du programme diffusé par satellite (principe du pays d‘origine).
– La retransmission par câble reste soumise à un système d‘autorisations par pays, simplifié néanmoins par l‘application d‘un mécanisme de gestion collective obligatoire.
Toutefois, ces deux régimes ne s‘appliquent pas aux transmissions ou retransmissions de contenus audiovisuels en ligne. La procédure lancée en 2016 par la Commission vise donc à étendre le champ d‘application de la directive de 1993, mais les désaccords entre Etats membres sont nombreux. La Commission propose de limiter le nouveau périmètre aux services en ligne dits accessoires et à l‘IPTV, une limitation que certains parlementaires ne souhaitent pas faire passer. Le Gouvernement français a émis des réserves sur l‘extension du principe aux services accessoires et espère constituer une minorité de blocage.
La proposition de règlement visant à contrer le blocage géographique et d‘autres formes de discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d‘établissement des clients dans le marché intérieur
Depuis le démarrage de la procédure en 2016, plusieurs Commissions ont émis un avis. La dérégulation proposée sera en principe calquée sur le champ d‘application de la directive Services qui ne recouvre pas l‘audiovisuel. C‘est une volonté du Conseil de conserver l‘audiovisuel hors du champ d‘application. Toutefois, il n‘est pas exclu que la proposition de règlement soit étendue à d‘autres services couverts par le droit d‘auteur, comme le livre ou la musique.
La proposition de directive sur le droit d‘auteur dans le marché unique numérique
Présenté en 2016, le texte introduirait l‘obligation pour un fournisseur de service en ligne de surveiller le contenu, même en l‘absence de contrôle éditorial de sa part sur ce qui se passe sur la plateforme. L‘article 13 introduit une obligation à deux branches. Il s‘agit d‘imposer aux plateformes de déployer des mesures visant à assurer l‘effectivité des accords conclus avec les ayants droit, ou à empêcher l‘accès à certains contenus identifiés par ces derniers. Se pose par ailleurs la question de l‘obligation pour le fournisseur qui a un rôle actif de conclure un contrat de licence. Ces propositions visent assurément un objectif vertueux, mais Anthony Level de Tf1 regrette toutefois que leur mise en oeuvre soit entièrement laissée à l‘appréciation des plateformes. Il considère en effet que « le seul point manquant est l‘absence d‘un tiers de confiance >> Pour Alban de Nervaux, Chef du service des affaires juridiques et internationales au Ministère de la Culture : « On peut aussi souligner la consécration du principe du « duty of care » et la clarification du statut des intermédiaires en ligne dont le modèle économique repose sur la mise à disposition des contenus postés par les utilisateurs. »