16 Déc Economie de la donnée dans les médias – 14 novembre
A l’occasion de cette première session, nos intervenants ont accepté de partager avec le GESTE leur expérience, la stratégie de leur structure ainsi que leur vision quant à la place centrale qu’occupe désormais la donnée dans l’économie des médias.
QUELLE STRATEGIE INDUSTRIELLE POUR LES MEDIAS AU NIVEAU EUROPEEN ?
Etonnamment la prise de conscience au niveau européen de l’importance du secteur des médias d’un point de vue économique, politique, démocratique et culturel est assez récente.
Pendant longtemps, la culture et les médias évoluaient naturellement dans des espaces publics nationaux, avec des protections locales particulières. La numérisation, internet et les plateformes ont changé la donne et ont contribué à cette prise de conscience récente.
Afin de lutter contre l’hégémonie et la surpuissance des GAFA, il est devenu primordial de développer une stratégie européenne en matière de big data, d’intelligence artificielle et d’innovation pour le secteur de médias.
Plusieurs projets industriels ont été lancés :
- Concernant l’IA et le big data, les questions s’articulent autour de quatre problématiques : Comment créer des écosystèmes de confiance pour pouvoir utiliser les données utilisateurs ? Comment utiliser les données pour enrichir les programmes ? Comment mettre en place des algorithmes de distribution et de personnalisation européens performants ? Comment avoir une mesure d’audience propre et indépendante ?
- Prototyper avec la Commission Européenne une « Silicon Valley » décentralisée pour les médias. Cela a été fait à l’échelle continentale avec 17 groupes publics / privés. C’est le Media Road qui s’articule autour de trois approches : Comment développer une approche collective dans les deux prochaines décennies ? / Expérience de boites à sable (aujourd’hui il y a 22 bacs à sable connectés en Europe) / Impulser une culture d’avant-garde à l’échelle continentale. Il faut généraliser, renforcer cette expérimentation.
Selon le constat fait par Guillaume Klossa, le secteur des médias connaît une transformation radicale liée à plusieurs facteurs :
- l’apparition de nouvelles concurrences transnationales avec des acteurs spécialisés dans la data, l’IA et et l’IO
- la disparition des frontières entre les métiers (radio / télévision / presse / formation …)
- l’absence de barrière de la langue, en raison notamment du développement rapide de la traduction automatique
- le rôle des plateformes globales qui structurent à la fois l’offre et la demande
- l’éparpillement du secteur au travers de nombreuses associations, sans masse critique et une incapacité à s’exprimer à l’échelle continentale
Le secteur des médias ne doit pas être négligé ou délaissé. Il est un des premiers à être touché par la concurrence des GAFA, mais c’est également un secteur qui a une capacité d’accélération pour l’ensemble de la société, car c’est un secteur très visible.
Guillaume Klossa énonce plusieurs recommandations :
- Co-créer avec les acteurs, de manière groupée et transnationale, une stratégie industrielle pour le secteur afin de créer des économies d’échelle en étant à l’avant-garde du progrès. Il faut développer rapidement nos propres plateformes européennes et interdisciplinaires. Cela passe notamment par l’allocation d’un budget de 3 à 5 milliards d’euros pour le secteur et par un fond de compétence à l’échelle continentale (ressources humaines).
- Continuer à développer des droits nouveaux et des opportunités nouvelles pour les utilisateurs (transparence des algorithmes…)
- Mieux réguler. Cela suppose d’avoir accès à l’information qui est décentralisée à l’échelle du monde. Cela pourrait donc passer par la création d’un régulateur numérique qui serait en mesure de réguler les entreprises systémiques (accès aux données, aux algorithmes …), c’est à dire celles qui ont un impact structurant sur l’économie, la démocratie, la culture.
Accéder au rapport « Towards European Media Sovereignty » de Guillaume Klossa
COMMENT REUSSIR LA MISE EN PLACE DE PROJETS COMMUNS MALGRE LES OBSTACLES APPARENTS ?
(protection des données, concurrence, cultures d’entreprises différentes …) L’exemple de Gravity.
Qu’est-ce que Gravity ? « L’alliance Gravity Data Media a pour ambition de rendre actionnable aux agences et annonceurs l’ensemble des données transactionnelles, navigationnelles et CRM du marché des éditeurs français. Singulière, notre alliance rassemble largement des éditeurs de natures différentes : télécoms, media, e-commerce et services. Nous sommes ainsi en mesure de construire une donnée abondante, précise et granulaire. Nous collectons et unifions 2 milliards d’événements chaque mois, alimentant 2 000 segments de ciblage publicitaires pour optimiser la performance des campagnes de nos clients. Nous réunissons plus de 150 sites et applications pour garantir un contexte de diffusion transparent, rassurant et valorisant. » Accéder au site de Gravity
Du point de vue de la concurrence, l’initiative a été bien accueillie par l’Autorité voire encouragée compte tenu de l’hégémonie de Google et Facebook sur le marché publicitaire (dominé à 80 % par ces deux acteurs captant presque 100 % de la croissance). Par ailleurs les acteurs membres de l’Alliance Gravity savent travailler en bonne intelligence et ont déjà démontré qu’ils pouvaient se regrouper autour d’initiatives communes par le passé (Médiasquare).
La mutualisation facilite le développement des projets basés sur l’intelligence artificielle grâce à un volume de données plus important et pertinent et permet ainsi la création de nouveaux de nouveaux produits pour le marché publicitaire.
QUID DU SECTEUR DE L’AUDIOVISUEL ET DES SOLUTIONS REGLEMENTAIRES ?
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- La transposition de la directive SMA via notamment le projet de loi sur la réforme de l’audiovisuel devrait notamment permettre (i) d’étendre la compétence du CSA aux plateformes de contenus audiovisuels, aux réseaux sociaux et au live streaming et donc de mieux encadrer et réguler les nouveaux acteurs (ii) de mieux répondre aux problématiques de financement de la création par ces plateformes ultra puissantes (ii) de reconnaître l’ERGA (le réseau des régulateurs nationaux et européens de l’Audiovisuel) comme un expert auprès de la commission européenne.
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- L’industrie culturelle n’est pas épargnée par la révolution numérique. En particulier, la « mise en données » du monde n’épargne pas le secteur de l’audiovisuel. Les éditeurs de service de télévision ont notamment besoin des données pour (i) proposer des algorithmes de recommandation de contenu efficace, (ii) comprendre les préférences des téléspectateurs, (iii) mieux monétiser leur contenu dans une perspective publicitaire.
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- Les revenus publicitaires des éditeurs de service de télévision stagnent (3,44 Milliards d’Euros en 2010 contre 3,43 Milliards d’Euros en 2018). Les acteurs de l’audiovisuel traditionnels doivent donc adapter leur modèle de commercialisation d’espaces publicitaires à l’ère du numérique. (Système Médiamétrie : Emplacements limités définis de manière temporaire sur la base d’hypothèse d’audience à atteindre vs. nouveau mode de commercialisation où la valeur marchande est définie en fonction de l’atteinte d’une cible définie à l’échelle individuelle) Pour autant, les éditeurs traditionnels et leurs régies présentent encore des avantages indéniables. En télévision par exemple les espaces publicitaires demeurent des espaces puissants, la brand safety est garantie, les annonceurs sont assurés de la qualité des programmes, le ROI demeure extrêmement élevé (pour 1€ investi, 4,90€ de vente additionnelle)
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- Par ailleurs, les nouveaux acteurs privilégient l’auto-distribution sur internet (OTT) et évoluent dans des environnements logués, ce qui leur permet de pouvoir collecter une grande variété de données et d’améliorer leurs propres produits.
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- Concernant le cadre réglementaire : Pour rappel, à ce jour, le décret de 1992 interdit le décrochage publicitaire pour les chaînes de télévision en diffusion linéaire, qui doivent diffuser le même spot publicitaire sur leur signal. Ce décret ne s’applique pas au SMAD, à la diffusion de contenu non linéaire ou au replay en IPTV. La possibilité de faire de la publicité segmentée en télévision est étudiée de près par le CSA, le ministère de la culture et la DGMIC. Ce nouveau marché serait estimé entre 120 et 220 Millions d’euros. Cela passe notamment par la mise en place d’un cadre de régulation pour l’économie de la donnée dans l’audiovisuel afin d’assurer des conditions d’accès équitables, loyales aux données de consommation des programmes (localisation, audience, préférence consommateur … ) pour que la richesse produite soit mieux partagée entre éditeurs et distributeurs (FAI). La question du partage de la valeur est donc centrale.
QUELLE IMPLICATION DU GOUVERNEMENT ?
La transformation numérique et les nouveaux besoins se font ressentir au sein même des ministères où de nouvelles fonctions et de nouveaux services voient le jour. A Bercy au sein de la DGE, un service est désormais dédié à la transformation numérique de l’économie, à la numérisation et aux technologies de ruptures (IA, blockchain …).
Cela est le reflet de la volonté du gouvernement de mettre en place une véritable stratégie industrielle et politique pour le numérique comme en témoigne par exemple le Rapport Villani sur l’Intelligence Artificielle ou encore les plans industriels sur la blockchain et sur le Cloud.
L’accès à la donnée est primordial pour mettre en place un plan industriel efficace et pertinent notamment en matière d’IA. Non seulement les acteurs européens doivent disposer d’une base de données suffisamment fournie, mais il est tout aussi important que cette donnée soit partagée et mutualisée. Il est donc essentiel d’encourager les acteurs européens à mettre en commun leurs actifs quelque soit le secteur (santé, énergie, mobilité, sécurité et défense mais aussi celui des médias) afin de développer une véritable stratégie européenne en la matière.
D’un point de vue défensif, la DGE lutte contre les plateformes qui bénéficient d’un pouvoir de marché écrasant et encourage une prise de position au niveau européen. L’Europe doit exprimer une réponse structurée et ferme vis-à-vis de ces comportements prédateurs.
Pour réguler ces plateformes, la DGE milite pour la mise en place de règles simples et claires au niveau Européen : portabilité des données, interopérabilité des services, transparence des algorithmes … Il en va de la survie des filières sectorielles et de la souveraineté des Etats.