Table Ronde : Médias en ligne : Innover, réguler, s’adapter – Retrospective et Prospectives

En clôture de l’assemblée générale 2024, s’est tenue une table ronde. Orchestrée par Laurent Frisch, étaient interrogés sur les sujets du numérique et de l’IA, Céline Pigalle, directrice de France Bleu, Jacques-Olivier Martin, directeur de la rédaction du Figaro.fr, et Frédéric Filloux, journaliste indépendant et entrepreneur.

Revenant sur le contexte d’une actualité tendue, Laurent Frisch a introduit la table ronde en interrogeant les intervenants sur la question de la crise des médias, et de l’impact des technologies sur l’économie des médias et leur capacité à bien informer.

Première question : Les plateformes, que l’on a vues initialement comme des intermédiaires, commencent à cannibaliser les médias en retenant l’audience. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle influence des plateformes qui ne sont plus des leviers pour les médias, mais se comportent davantage en concurrentes des médias ?

Frédéric Filloux commence sa réponse par une formule choc : « La relation avec les plateformes, on peut en parler au passé. » Il explique ensuite son point de vue ainsi : ce déclin des relations est visible par les deals défavorables de distribution, mais aussi par l’évolution des algorithmes de visibilité des plateformes.  Il revient ensuite sur un bref historique des relations entre plateformes et médias : d’une défiance réciproque de part et d’autre, on est passé à une situation où les médias ont vu dans les grandes plateformes une nouvelle source de revenus et de subventions, ce qui s’est avéré assez vrai. Mais les plateformes, elles, ont toujours eu du mal à prendre conscience de la valeur de l’information et des droits d’auteurs. Conséquence de quoi, les big techs n’ont jamais été des partenaires fiables. « Les règles du jeu ont passé leur temps à être changées », martèle ainsi le journaliste. Finalement, l’antagonisme initial ne s’est jamais véritablement éteint, de telle sorte que les plateformes les plus réticentes dès le début ont fini par l’emporter. Les médias ont perdu du temps à générer des audiences peu rémunératrices, et ont été dilués dans le flux. Ce qui a, par exemple, entrainé le fermeture de nombreux médias locaux.

Seconde question, adressée à Céline Pigalle : Quelle est l’importance de maintenir un lien avec le public, et les plateformes sont-elles un moyen de garder ce lien ou une menace ?

La directrice de France Bleu attaque le sujet par l’angle de son expérience de management et de productrice d’information pour la radio. Et son premier point, c’est qu’ « Il faut des gens compétents pour fabriquer des bons contenus. » Elle revient ensuite sur son regard porté sur la relation média-GAFAM : la relation avec les GAFAM est d’une opacité totale, précise-t-elle. « Le premier sujet majeur est l’absence totale de dialogue, de langage commun, et d’échanges. » La création de contenus adaptés à chaque réseau est cause d’une création anarchique, et aucune plateforme n’a fourni de guide de production ou tendu une main vers les médias, regrette-t-elle. Ce n’est pas une relation éteinte affirme-t-elle cependant, pour tempérer les propos de Frédécric Filloux, mais davantage mais une relation à revoir, à révolutionner. Les médias doivent savoir se mettre en valeur dans cet univers, conclue-t-elle.

Interrogé sur le point de vue du Figaro sur la question, Jacques-Olivier revient sur l’évolution qu’il a pu observer.

« Ce qui n’a pas évolué, c’est que les bons papiers sont ceux qui font le plus d’audience », commence-t-il par souligner, « Le travail de journalisme, d’enquête, de reportage reste, même à l’heure des plateformes et des réseaux sociaux, quelque chose de fondamental. » Pour autant, le rédacteur rappelle aussi l’importance des plateformes qui sont, selon lui, un relai important d’audience : elles sont ainsi un outil de notoriété, permettant de conquérir les lecteurs de demain. Cependant, il souligne une relation déséquilibrée où les plateformes profitent des contenus sans chercher à aider les médias : « On a perdu 50% du trafic en provenance de Facebook en l’espace d’un an. » « Les réseaux nous asservissent et nous appauvrissent », ajoute-t-il. Pour compenser cette perte et la diminutions des revenus de la publicité, Jacques-Olivier Martin préconise de se détourner de ses plateformes, en jouant l’abonnement. Travailler avec d’autres moyens que les plateformes : applications, newsletters, etc… Il finit en rappelant que les médias sont affaiblis, alors qu’ils sont nécessaires à la démocratie.

Question suivante : l’IA. Les risques comme les opportunités sont démesurés. Comment appréhender cela ?

« Faire en sorte que les opportunités soient au moins aussi importantes que les risques, c’est aussi notre histoire », commence Céline Pigalle. La réaction initiale qui était de ne rien faire pour ne pas faire d’erreur n’est pas la solution quand on voit toutes les possibilités de l’IA. Pour se saisir de ces usages qui ont un grand intérêt, il faut prévoir à l’avance les solutions et se poser des limites.

Le représentant du Figaro explique ensuite que pour le Figaro, l’IA a initialement été perçue comme un nouveau concurrent capable de produire de l’écrit, et des informations pas toujours fiables. Le constat pour lui est le même : « ça peut être un outil d’aide à la productivité, mais il faut savoir s’arrêter. » Sans se priver de l’IA, il faut savoir se réguler. Le Figaro s’est ainsi engagé à ne pas produire de contenu par IA pour maintenir un lien de confiance avec le lecteur. Pour autant, le rédacteur soutient que « Ça peut être un outil d’aide à la productivité, de la même manière que les moteurs de recherche à l’époque. »

Pour rebondir, Céline Pigalle vient ajouter deux choses : l’IA produit du texte, pas de l’information. Ensuite, elle se demande à partir de quel moment considère-t-on que l’IA est utilisée pour produire, et quand informer l’auditeur, pour sauvegarder le lien de confiance sans l’effrayer.

C’est ensuite Frédéric Filloux qui intervient sur la question de la fouille de donnée pour l’entrainement de l’IA. Aujourd’hui, affirme-t-il, l’IA est imprécise car elle fonctionne par probabilité : elle « hallucine ». Il affirme ensuite : « les deals avec les plateformes sont le dernier clou sur le cercueil des plateformes. » Son explication est la suivante : l’entrainement de l’IA se fera bien plus simplement avec des données de médias, de plus grande qualité. Et, une fois l’entrainement fait et le contrat initial fini, quelle issue pour le média ? Pas de garantie de renouvellement, et la donnée est implémenté sans retour possible dans le modèle d’IA. La solution serait plutôt dans des actions juridiques, couteuses certes, mais permettant de fixer des limites.  « Les accords avec les plateformes sont une capitulation totale, solution à courte vue » conclut le journaliste.

Dernière question : Pour conclure, quelle mesure pour aider l’espace informationnel ?

Pour Jacques-Olivier Martin, deux solutions : une meilleure rémunération des droits voisins, et pourquoi pas des aides pour les abonnées aux médias classiques (type crédit d’impôt).

Pour Céline Pigalle, des règlementations efficaces, une transparence des systèmes d’IA, et un fond d’aide au journalisme.

Pour Fédéric Filloux, la solution se fera plutôt par la valorisation des talents et par une re-concentration des médias sur leurs qualités initiales, avec une augmentation du revenu par utilisateur.