Podcast et publicité digitale : évolutions, défis et perspectives en 2025

KATIA SANEROT

Katia Sanerot est Directrice Générale et associée de Louie Media depuis 2020. Elle est aussi vice-présidente du GESTE et co-présidente de sa commission audio digitale. Elle préside le PIA, syndicat des producteurs audio indépendants.

Diplômée de l’ESSEC et du mastère spécialisé médias de l’ESCP, elle a passé plus de 10 ans au sein du groupe Figaro, où elle a occupé des fonctions de business développement, puis éditrice digitale de Madame Figaro et Figaro Lifestyle avant de prendre la direction de Madame Figaro (print, digital, diversification) et de siéger au comité de direction du groupe.

Aujourd’hui en charge du studio de podcasts le plus exigeant de France, elle défend une vision ambitieuse et créative de l’audio. 

Parmi les chiffres et tendances révélés par l’étude ACPM x CSA sur les usages du podcast en France, lesquels vous ont le plus marquée ? Certains résultats vous ont-ils surprise ou interpellée ?

L’étude révèle que 44 % des Français écoutent des podcasts : un taux de pénétration impressionnant. Ce qui retient particulièrement mon attention, c’est la part croissante du podcast natif  (27 %) par rapport aux auditeurs de replay radio (38 %). Cela confirme que le podcast devient un mode d’accès à l’audio à part entière, avec ses propres codes, ses formats et ses usages.

Autre donnée forte : 64 % des auditeurs écoutent au moins un podcast par semaine. Cela montre un lien d’habitude, de régularité, presque de rendez-vous avec ce format. Les auditeurs natifs sont même encore plus engagés.

Le paysage audio se structure en France autour d’une offre de plus en plus riche, portée par des acteurs très divers : radios, groupes de presse, pure players, créateurs indépendants, YouTubeurs… chacun contribue à sa manière.  Ce maillage renforce l’attrait du podcast en répondant à des attentes variées.

Les moins de 35 ans écoutent surtout des podcasts natifs, quand les plus de 50 ans restent fidèles au replay. Il y a là un vrai levier de croissance pour toucher des publics plus âgés, notamment via les marques qui ont déjà leur confiance.

Enfin, côté pub, plus de la moitié des auditeurs ont déjà eu envie de se renseigner sur une marque entendue en podcast. Ce niveau d’attention et de mémorisation est rare aujourd’hui. Il s’explique par la qualité de l’expérience d’écoute : intime, contextuelle, incarnée.

Ces chiffres parlent aux professionnels de l’audio, évidemment, mais ils disent aussi quelque chose de profond sur notre manière de consommer les médias aujourd’hui : une recherche d’authenticité, de proximité et de flexibilité. Les auditeurs veulent des formats à la carte, qu’ils choisissent activement, et qui s’intègrent dans leur quotidien. Le succès croissant du podcast natif témoigne d’un besoin d’histoires incarnées, de voix singulières, et d’une relation plus directe avec les contenus. Le média podcast s’inscrit ainsi dans un mouvement plus large : celui d’une consommation choisie, engagée, et souvent plus intime que celle des médias traditionnels.

 Comment la publicité sur l’audio digital a-t-elle évolué par rapport à 2024 ?

En 2024, l’audio digital a encore connu une forte progression : +18 % d’impressions servies selon Kantar Media, pour atteindre près de 7 milliards. Ce sont des volumes significatifs, qui confirment que l’audio trouve sa place dans les médias de masse.

Les secteurs les plus actifs sont la distribution, l’automobile, le tourisme. Mais on observe aussi l’arrivée de nouveaux annonceurs. Les plateformes de streaming, webradios, radios digitales et podcasts tirent largement bénéfice de cette dynamique. La distribution reste en tête des investissements.

Ce qui fidélise ? L’efficacité. L’audio permet de mixer communication de marque, drive-to-store et proximité, tout en gardant des budgets accessibles. Certaines agences et médias ont acquis une vraie expertise audio.

Lors de la table-ronde “Audio digital : À qui profite la croissance ?” (organisée par l’ACPM et le Geste le mois dernier) annonceur et agence ont confirmé que les campagnes podcast (notamment host-read ou voice-read) étaient très performantes. Quand un test fonctionne, les budgets reviennent, plus importants. On observe une fidélisation côté annonceurs !

L’audio digital reste pourtant encore sous-exploité. Il mérite mieux. C’est un support puissant, mais qui demande une vraie compréhension pour bien l’activer. Ceux qui s’y engagent vraiment en voient très vite les bénéfices.

Quels sont, selon vous, les principaux bénéficiaires de la croissance de la publicité dans l’audio digital ? Les producteurs de podcasts en tirent-ils réellement profit, ou observe-t-on une concentration des revenus ?

Ceux qui tirent leur épingle du jeu sont les acteurs qui maîtrisent leur chaîne de valeur : production, édition, distribution. Et ceux qui ont su construire une audience identifiable, fidèle, en affinité avec leurs contenus.

Contrairement à ce qu’on imaginait il y a quelques années, le podcast ne se développe pas comme l’audiovisuel, sur un modèle de commande. Il s’inscrit dans une logique média, à la manière de la presse ou de la radio : on publie pour un public, avec des revenus qui mixent publicité, abonnements ou ventes d’offres dérivées.

Les groupes média traditionnels ont un avantage : leur catalogue replay déjà amorti, leurs canaux de diffusion, leur crédibilité historique. Mais les indépendants, quand ils ont une ligne forte et une vraie signature, peuvent tout à fait tirer leur épingle du jeu.

C’est le cas de Louie Media, qui associe un positionnement clair, une exigence de production, et une stratégie de partenariats sur-mesure. C’est ce qui nous permet de rentabiliser nos formats phares, tout en collaborant avec des marques ou institutions qui partagent nos valeurs.

Ceux qui réussissent sont ceux qui ont compris que le podcast, c’est un média de proximité, d’influence et à haut vecteur émotionnel, et qu’il faut lui appliquer des logiques adaptées.

Quelles sont les grandes tendances et perspectives d’avenir pour le podcast en France ?

L’IA est un levier d’optimisation technique évident et permet d’ouvrir de façon fantastique le potentiel de distribution et d’accessibilité de nos contenus. Chez Louie Media, on l’a testée sur notre podcast “Faut que je te dise”, co-produit avec ELLE. La voix de la journaliste a été clonée en neuf langues pour permettre une diffusion internationale. C’est une piste très prometteuse, à condition de l’encadrer intelligemment, dans le respect des droits des créateurs et de la transparence avec les auditeurs.

Autre tendance : les collaborations entre médias. En 2024, nous avons lancé deux projets avec Libération. Le premier, Loveur Voleur de Lysiane Larbani, une enquête sur une histoire d’arnaques sentimentales, est devenu une série très écoutée du podcast Passages. Le second, “Mères en cavale” de Romane Brisard, qui raconte le combat de mères pour protéger leurs enfants face à l’inaction judiciaire, a donné lieu à une enquête de trois pages dans le journal. Cette circulation entre formats et médias est riche de sens.

Je crois aussi au potentiel de la presse régionale. Par leur ancrage local, leur connaissance du terrain, ils détiennent une mine d’histoires. Le podcast peut être un nouveau levier pour eux : un moyen de prolonger leur mission, tout en allant chercher de nouveaux publics.

Enfin, on cherche en permanence à réinventer le récit : podcast sériel, documentaire vidéo, print immersif, événements en live… Chaque histoire a son format idéal. On en est encore au début.

Quels sont aujourd’hui les freins principaux à la structuration du secteur ? Et quelles pistes pour avancer ?

Le premier frein, c’est l’absence totale de soutien public. Le podcast est aujourd’hui le seul média culturel en France qui ne bénéficie d’aucune forme d’accompagnement. Même les podcasts d’informations ou les formats narratifs portés par des journalistes ne sont pas reconnus comme relevant de la presse ou de l’audiovisuel.

Pendant que d’autres secteurs accèdent à des crédits d’impôt ou à des aides, les producteurs de podcast doivent tout autofinancer : écriture, production, post-prod, diffusion.

Pourtant, on est au cœur de dynamiques que connaissent aussi la presse indépendante ou le documentaire audiovisuel: des formats exigeants, avec des ressources publicitaires limitées, mais essentiels pour la diversité des voix.

Il est urgent de créer des dispositifs de soutien, notamment pour les programmes jeunesse, les documentaires ou les fictions. Et de travailler sur la visibilité : les revenus se concentrent sur les têtes de gondole, ce qui freine l’émergence.

Des approches collectives, des rapprochements entre producteurs, des labels de qualité : voilà des leviers à activer pour construire un secteur plus équilibré.

TABLE RONDE : LES USAGES DU PODCAST EN FRANCE

La publicité dans l’audio digital : à qui profite la croissance ? 

Avec : Katia Sanerot, Directrice Générale – Associée Louie Media, Xavier Filliol, COO Radioline, Marie Perrin, Directrice Marque SNCF Connect, Sébastien Ruiz, Head of AudioM GroupM